ASSEMBLÉE NATIONALE

Neuf nouveaux mots maudits

Accuser un adversaire de dire des « âneries » ou d’utiliser un « stratagème » est désormais interdit à l’Assemblée nationale. Le traiter de « Shylock » aussi. Ces mots font partie des neuf nouveautés qui sont entrées au cours de la dernière session dans le lexique des « propos non parlementaires », soit la liste des 337 expressions proscrites en Chambre. Voici notre désormais traditionnel survol des nouveaux mots maudits.

Âneries

17 février 2015

D’abord, une surprise : ce nouveau mot mis à l’index a été prononcé par un politicien qui affirme avoir un ton respectueux et éviter les attaques personnelles. Il faut croire que le premier ministre Philippe Couillard a été particulièrement outré par le projet de la Coalition avenir Québec sur les valeurs québécoises et la lutte contre l’intégrisme religieux. Au Salon bleu, il a cité le chroniqueur Alain Dubuc, pour qui, « malgré son ton posé, le projet de M. Legault ne tient pas la route ». Or Philippe Couillard a ajouté une remarque de son cru qui a déplu au président. « Le ton posé » sert « parfois à dire des âneries », a-t-il lancé. Forcé de retirer ses propos, M. Couillard a remplacé « dire des âneries » par « dire n’importe quoi ». Il a finalement passé le test de la décence parlementaire.

Détournement de fonds

7 mai 2015

Pour chaque amende payée en raison d’une infraction au Code de la sécurité routière, une contribution pénale est exigée afin de financer le Fonds d’aide aux victimes d’actes criminels et le Fonds Accès à la justice. Québec a décidé plus tôt cette année d’augmenter cette contribution pénale. Or, seulement 2,9 des 21 millions de dollars supplémentaires récoltés serviront à garnir ces fonds. « Le reste ira où ? Au fonds consolidé pour combler tout autre besoin budgétaire. Le gouvernement libéral dénature la vocation de cette contribution pénale », a tempêté la députée caquiste Nathalie Roy. Puis elle a lâché : « C’est un détournement de fonds » ! L’arbitre du Salon bleu a aussitôt sifflé. « Je vais vous demander de retirer vos derniers propos, c’est une accusation criminelle », a affirmé le président Jacques Chagnon.

Harcèlement

6 février 2015

C’était jour de bâillon à l’Assemblée nationale, afin d’adopter à toute vapeur le projet de loi 10 sur la réorganisation du réseau de la santé. Le député caquiste Éric Caire a accusé le ministre Gaétan Barrette de verser dans la « microgestion », de mettre son nez dans les affaires des autres. « Si le réseau de la santé était une femme, il serait accusé de harcèlement tellement il a les mains partout ! », a-t-il lancé. Le vice-président François Gendron n’a pas du tout apprécié. « Franchement ! Non, mais, c’est une image que je ne peux pas accepter. » Éric Caire s’est amendé, mais le fin finaud a tenu à avoir le dernier mot. « Je retire. Mais ce serait bien que le ministre fasse la même chose, qu’il se retire de la microgestion du réseau de la santé puis qu’il laisse travailler les professionnels, qu’il fasse confiance à son monde. »

Hypocrites

26 février 2015

Le débat portait sur le projet de loi fédéral C-51 sur la lutte contre le terrorisme. Le Parti québécois a demandé au gouvernement de prendre position sur cette pièce législative. Le leader parlementaire du gouvernement, Jean-Marc Fournier, a trouvé la démarche étrange, dans la mesure où le gouvernement avait l’intention de déposer une motion sur le sujet, ce que savait l’opposition. « Votez pour notre motion plutôt que de poser des questions hypocrites », s’est-il insurgé. « Wô, wô, wô ! », a répliqué Jacques Chagnon, qui a demandé à M. Fournier de retirer ses propos. Il n’y a finalement pas eu de motion du gouvernement sur C-51. Il a fait savoir plus tard qu’il a « plusieurs préoccupations » au sujet du projet de loi fédéral.

Maquiller

25 mars 2015

La députée caquiste Claire Samson était en verve ce jour-là. Elle a parlé d’un projet de loi « all dressed pas de croûte » et a qualifié un autre de projet d’« abracadabra ». Jusque-là, pas de problème. Mais elle s’est emportée au sujet de la décision de Québec d’adopter une loi pour éviter que le projet de cimenterie de Port-Daniel-Gascons, financé en partie par l’État, ne soit soumis à l’examen du BAPE. « Au diable l’environnement, on sort le cash des Québécois et on avance ! », a-t-elle tonné. Attention à la suite : « Les libéraux essaient ici de nous faire la passe de l’écureuil, c’est-à-dire de maquiller et de packager un rat pour nous faire croire que le gentil écureuil est autre chose qu’une vermine. » Le leader parlementaire adjoint du gouvernement, Gerry Sklavounos, a bondi tel un fauve. « Le terme utilisé, maquillage, est non parlementaire. Je suis convaincu que vous l’avez dans le lexique. De toute façon, même si vous ne le trouvez pas dans le lexique, ça impute des motifs indignes au gouvernement. » « Maquiller » n’était pas dans le lexique, mais la vice-présidente Maryse Gaudreault l’y a ajouté.

Méchanceté

7 mai 2015

C’était lors d’un débat sur le projet de loi 20, qui impose des quotas de patients aux médecins. Le député péquiste Bernard Drainville s’est mis à raconter qu’il reçoit des témoignages de médecins partout où il passe. Vraiment partout. « À l’aréna parce que l’enfant joue au hockey » et « le long des lignes lors des games de soccer », par exemple. « Si vous saviez ce qu’ils disent actuellement, comment ils se sentent présentement, les médecins… Ils se sentent rabaissés, ils se sentent méprisés, ils se sentent piétinés, bulldozés », a-t-il énuméré. Sa diatribe était acceptable jusqu’à ceci : « Pourquoi est-ce que [le ministre Barrette] est obligé de faire sa réforme en disant autant de méchancetés ? » On lui a fait retirer le mot « méprisés », mais c’est bien « méchancetés » qui était visé par le rappel à l’ordre.

Raciste

7 mai 2015

Un débat sur la langue, ça tourne souvent au vinaigre. Le péquiste Stéphane Bédard a d’abord accusé Philippe Couillard de ne pas en faire assez pour protéger le français. Le premier ministre a répliqué que le PQ veut aller trop loin. Il a rappelé qu’une motion péquiste, exigeant entre autres d’assujettir à la loi 101 les entreprises de 26 à 49 employés, avait été rejetée par l’Assemblée nationale. « Une majorité de députés des comtés de tout le Québec, de toutes les régions, ont dit à l’opposition officielle : “Ça suffit !” », a-t-il plaidé. Stéphane Bédard a vu rouge. « C’est assez incroyable. Quand on se rappelle comment Camille Laurin a fait la loi 101, il y en a eu, des quolibets du Canada anglais. On le traitait de raciste, comme fait le premier ministre, des fois, quand on [le PQ] parle de la question de la langue. » La remarque n’a pas passé la rampe. « Il a imputé des motifs qui sont graves au premier ministre », a tranché Jacques Chagnon. Il a invité Stéphane Bédard à retrouver sa « gentilhommerie ».

Shylock

27 mai 2015

Hydro-Québec impose un taux d’intérêt de 14,4 % aux payeurs retardataires, s’est insurgé le député péquiste Bernard Drainville. « Vous chargez des taux d’intérêt usuraires de Shylock sur les Québécois ! », a-t-il lancé. L’attaque a été l’occasion pour Jacques Chagnon de parler de culture. « Shylock est un personnage important de Shakespeare, mais il est certainement mal avisé de se présenter ici, à l’Assemblée nationale. Et, sans passer par Hamlet, je vous demanderais, monsieur le député de Marie-Victorin, de retirer votre mot, Shylock. » Bernard Drainville a d’abord badiné :  « Sherlock ? », a-t-il demandé. « Je comprends que votre connaissance de la littérature anglaise, de Shakespeare à Conan Doyle, est importante, a répondu M. Chagnon. Je veux juste vous demander de retirer votre propos. » Quelques instants plus tard, le ministre Pierre Arcand a décoché sa fameuse pointe en direction de Pierre Karl Péladeau en disant que « dans le cas de Vidéotron, quand les clients sont en retard, c’est 19,56 % ».

Stratagème

11 février 2015

Double faute pour le péquiste Stéphane Bédard cette session. Il reprochait cette fois au gouvernement d’avoir surestimé le déficit actuariel des régimes de retraite des employés municipaux. Ce déficit s’élève à 2,6 milliards de dollars, selon les plus récentes évaluations, dévoilées en février. Or le gouvernement parlait de 3,9 milliards deux mois plus tôt, au moment où il faisait adopter une loi pour remettre à flot ces régimes de retraite. « On vit sur une planète où la vérité a ses droits, mais pour le premier ministre, la fin justifie les moyens », a accusé M. Bédard. « De ne pas déposer la réalité actuarielle des déficits de retraite cet automne, alors qu’il les connaissait, c’est manquer à son premier devoir de transparence. Comment le premier ministre peut avoir participé à un tel stratagème ? » « Stratagème ? » C’est un terme non parlementaire, a décrété Jacques Chagnon. « Est-ce que vous avez peut-être un autre mot plutôt que celui-là ? », a-t-il demandé. Le PQ a suggéré « procédé ». Accepté !

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